Une majorité d'experts exclut une récession mondiale

Publié le par jpep et Le Monde

Cà secoue en ce début d'année 2008. Il y aurait crise ou bientôt crise, à moins qu'elle ne soit derrière nous. Hmmm... on aimerait être à votre place les jumeaux poue savoir ce qui se sera passé !
Mais, crise oui mais de quelle crise s'agit-il? les experts s'interrogent, les politiques lénifient, les Cassandres crient, les religieux voient le diable, les néo- communistes disent "on vous l'avait bien dit que le capitalisme cà ne marche pas"", les épargnants perdent, les emprunteurs sont à la rue, les SDF n'ont pas plus, les foot-balleurs gagnent toujours leur vie, Sarko s'amuse, Poutine manoeuvre, quelques indiens et quelques chinois s'enrichissent. Bref, l'écume des jours comme dit mon copain Billaut avec lequel je ne suis jamais d'accord sauf sur la SamuelAdams.
Donc, je préfère vous livrer les réponses avisées de Frédéric Lemaître aux questions malines des chers zinternautes.


Frédéric Lemaître, à Davos
L'intégralité du débat avec Frédéric Lemaître, éditorialiste au "Monde", vendredi 25 janvier, à 14 h 30.

atia : Quel est le sentiment général à Davos sur la crise financière actuelle ?

 

Frédéric Lemaître : Le sentiment général est que la situation économique, surtout aux Etats-Unis, n'est pas bonne. Donc l'ambiance ici est "gloomy" (morose). La question est de savoir d'abord si les Etats-Unis sont entrés en récession ou pas, et ensuite, les conséquences qu'une crise américaine aurait sur le reste du monde. Côté américain, il y a une distinction entre les économistes et les milieux financiers, qui sont plutôt très pessimistes, alors que les industriels ne voient pas pour maintenant une baisse de leur carnet de commandes. Ce qui est frappant quand même, c'est que pour les Américains, une crise américaine ne peut être que mondiale. Les Chinois et les Indiens, eux, semblent plus optimistes. Les Chinois disent que finalement, si leurs exportations baissent un peu, ce n'est pas plus mal. Et les Indiens, eux, estiment que cela n'aura pas d'impact sur leur économie. Après, il y a le débat sur la crise des subprimes et sur la nécessité de réguler le système. Mais je dois vous dire que depuis ce matin, c'est surtout la Société générale qui est au cœur des discussions financières.

Nils : De quelle façon parle-t-on à Davos de la fraude révélée hier par la Société générale ?

Frédéric Lemaître : D'abord, cela fait la "une" de quasiment tous les journaux dans le monde. Deuxièmement, grande incompréhension. Troisièmement : est-ce un défaut de surveillance de la Société générale ou cela remet-il en cause la solidité des banques françaises ? Et malheureusement, certains Anglo-Saxons essaient d'émettre une critique globale sur le système financier français. Revient finalement, de nouveau le débat sur : quelle régulation pour le système bancaire ? Après, il y a aussi des questions émises sur l'avenir de la Société générale. Beaucoup estiment que sa réputation est tellement entachée qu'elle ne pourra pas éviter de s'adosser à un partenaire. Comme on dit pudiquement.

Delphine : Comment juge-t-on à Davos la réaction de la Fed de baisser fortement ses taux compte tenu de la situation de l'économie américaine ?

Frédéric Lemaître : Comme à chaque fois, vous avez les deux tendances : ceux qui critiquaient Alan Greenspan pour avoir maintenu des taux bas trop longtemps estiment que la Fed, en baissant ses taux, ne fait qu'alimenter la prochaine bulle financière. C'est notamment le sentiment de Stephen Roach, économiste chez Morgan Stanley, et sans doute aussi du financier George Soros. En revanche, vous avez ceux qui disent que la Fed a bien réagi et que finalement, entre la Fed et le plan de relance du gouvernement, cela pourrait peut-être permettre d'éviter la récession.

LA POSITION DE LA FRANCE

Roseline : La récession qui se dessine aux Etats-Unis sera-t-elle contagieuse ? La France peut-elle rester à l'écart, comme le prétend Mme Lagarde ?

Frédéric Lemaître : D'abord, la récession n'est qu'une hypothèse. On parle de baisse de la croissance pour l'instant. Alan Greenspan a dit qu'il n'était pas encore clair s'il y aurait une récession ou pas. Evidemment, la baisse de la croissance aux Etats-Unis aura un impact sur l'Europe, et évidemment aussi sur la France. Depuis plusieurs jours, ici, les experts prévoient une croissance en France d'environ 1,5 % en 2008, moins que le gouvernement. Soyons honnêtes : il arrive quelquefois que les prévisions optimistes des gouvernements se réalisent.

nils : Comment François Fillon s'en sort-il à Davos ?


Frédéric Lemaître : François Fillon est intervenu hier pendant trente minutes. Disons qu'il a fait un discours très commercial. Il a vendu la France en mouvement. En dénigrant tout ce qui avait été fait, ou plutôt ce qui n'avait pas été fait, par ses prédécesseurs. Les uns ont trouvé ce discours efficace face à des patrons étrangers ; d'autres ont pu trouver que cela manquait un peu de hauteur de vue et que ça avait été une autosatisfaction qui était peut-être un peu prématurée.

CL : Il y a des économistes qui veulent plus de flexibilité en France quant au crédit bancaire, ce qui inciterait à consommer plus. Le système anglo-américain se base sur ce concept, et en effet les consommateurs ont plus de pouvoir d'achat (et plus d'endettement d'ailleurs), mais au moins cela semble relancer l'économie. Serait-il imprudent d'adapter ces mesures afin d'augmenter le pouvoir d'achat des Français ?

Frédéric Lemaître : Augmenter la consommation et diminuer l'épargne est évidemment une source de croissance pour l'économie. En revanche, en cas de retournement, la faiblesse du taux d'épargne devient un problème. Donc il faut en permanence jouer sur ces deux paramètres.
Personnellement, je trouve qu'il est plus risqué d'inciter les Français à devenir propriétaires à tout prix de leur logement. La crise des subprimes devrait faire réfléchir de ce côté-ci de l'Atlantique.

LA PLACE DES PAYS ÉMERGENTS

CL : Il faut remarquer que les pays émergents pensent que leur croissance ne sera pas trop affectée par la volatilité des marchés ou la décroissance économique aux Etats-Unis : ont-ils raison de se sentir non vulnérables et découplés des USA ?

Frédéric Lemaître : C'est la grande question. Ce que l'on voit en ce moment, c'est vraiment l'émergence d'un monde multipolaire. On en parle depuis quelques années, mais là, c'est vraiment évident. Les optimistes font remarquer que 80 % des investissements directs étrangers réalisés par les pays émergents s'effectuent dans les pays émergents. Cette dynamique devrait se poursuivre, et si la consommation intérieure chinoise prend en partie le relais des exportations vers les Etats-Unis, le pire est évitable. Mais pour maintenant, une majorité d'experts exclut une récession mondiale.

Bip : Le changement de l'équilibre des forces économiques, en faveur des pays émergents, est-il susceptible d'être contré par des mesures concrètes des pays dominants ( notamment des mesures politiques) ?

Frédéric Lemaître : Il y a eu un débat sur les fonds souverains, partie de la réponse à votre question, au cours duquel on a vu que ceux-ci étaient clairement en position de force. On ne voit pas les pays développés adopter des mesures protectionnistes contre les pays du Sud, alors que ce sont ces pays qui tirent la croissance mondiale. En revanche, la crise actuelle pourrait inciter les responsables politiques à être plus prudents, parce que sur la défensive, ce qui est une mauvaise nouvelle pour des sujets mondiaux comme le réchauffement climatique ou les négociations au sein de l'OMC. C'était le point de vue exprimé par Tony Blair. Ce repli sur soi politique est d'autant plus probable que les Etats-Unis, évidemment, sont en période électorale, ce qui ne va pas les inciter à faire des concessions.

CL : Puisque les pays développés ont besoin de l'investissement en provenance des pays émergents, imposer des normes qui veulent de la transparence, etc., ne me semble pas être une prérogative des nations riches. Il y a de l'échange, mais on hésite à pénaliser la partie la plus faible par crainte de défavoriser les relations...

Frédéric Lemaître : Hier, dans le débat sur les fonds souverains, Larry Summers, ex-secrétaire au Trésor de Bill Clinton, a proposé aux fonds souverains de rédiger tous ensemble une charte dans laquelle ils s'engageraient à ne pas investir dans des entreprises touchant à la sécurité nationale, à ne pas spéculer contre les monnaies des pays occidentaux, et à ne pas investir selon des critères politiques. Et enfin à être plus transparents. La réponse des fonds souverains a été : "Nous sommes victimes d'un délit de sale gueule, vous nous demandez de prouver notre innocence alors que nous ne sommes coupables de rien. Quant à la transparence, vous nous demandez d'être transparents,
alors que vous n'avez toujours pas été capables d'imposer la transparence à vos banques et à vos
hedge funds. Donc balayez d'abord devant votre porte."

QUELS REMÈDES ?

greg : N'est-ce pas inquiétant que, pour la première fois dans l'histoire économique, une crise financière entraîne une crise économique mondiale et non le contraire ? La finance n'a-t-elle pas pris une place surdimensionnée dans l'économie mondiale ?

Frédéric Lemaître : Je ne suis pas sûr que ce soit la première crise financière qui entraîne une crise économique mondiale. Surtout, ce qui est nouveau là, c'est que ce serait la première fois qu'une crise mondiale naît dans un pays riche. Depuis vingt ans, les crises venaient des pays du Sud et avaient plus ou moins de conséquences sur les pays riches. Là, on est dans la situation inverse.

oups : Quelle sanction pour les banques, à l'origine de la crise des subprimes ?

Frédéric Lemaître : Même le Financial Times a fait remarquer récemment que la banque était l'industrie qui parvenait le mieux à privatiser ses gains et à socialiser ses pertes. Pour maintenant, la réponse est : les cours de Bourse des banques baissent, donc les actionnaires en pâtissent. Quant au bonus, on verra.

 

dod : L'économie mondiale a-t-elle besoin de remèdes ou doit-elle changer ? En particulier, ne va-t-elle pas être contrainte à une certaine forme de relocalisation quand l'économie va y être contrainte (coût de l'énergie...) ?

Frédéric Lemaître : Il y a plusieurs questions : le prix de l'énergie, dont on parle beaucoup ; mais on parle moins de ce qui est important : l'augmentation du prix des matières premières agricoles. Pour répondre à votre question, certains disent que la lutte contre le réchauffement climatique passe par le "produire local", et donc une certaine forme, effectivement, de repli, au moins régional, c'est vrai.

Frédéric : Face à la crise des subprimes et aux opérations financières, souvent complexes et peu transparentes, réalisées par les banques, quelles solutions sont envisagées ?

Frédéric Lemaître : D'abord, il y a un débat sur la nécessité ou non pour la finance d'être complexe. Les professionnels nous expliquent que cette complexité assure la liquidité des marchés mondiaux. Et c'est vrai que depuis vingt ans, ça a marché. Mais les industriels et les hommes politiques doutent que cette complexité soit toujours nécessaire. Parfois, les banques inventent des nouveaux produits complexes, sans doute pour des raisons de marketing. Hier, le patron de la banque JP Morgan, dans un débat avec Jean-Claude Trichet, a eu une remarque tout à fait intéressante : il a dit : "La compétition entre les institutions financières est telle qu'il faut être très courageux pour ne pas prendre de risques qui pourraient vous rapporter de l'argent." Toute la question est là.

rahal mohamed redha : La mondialisation exerce sur le droit étatique des pressions énormes. Avec les pouvoirs privés économiques, on assiste à une production normative d'origine privée qui concurrence celle de l'Etat. Ce point est d'une importance capitale car il me semble que les dérives de l'économie mondiale proviennent et proviendront de l'absence d'un droit qui puisse l'encadrer dans sa croissance. Je voudrais avoir votre avis sur cette question.

Frédéric Lemaître : Les normes privées, généralement, se mettent en place avec l'accord des Etats. Le meilleur exemple, ce sont les normes comptables IFRS [International Financial Reporting Standard, "normes internationales d'information financière"] que les Etats ont explicitement sous-traitées au secteur privé. Ce qui est vrai, c'est qu'on manque de normes internationales. Mais on assiste actuellement à une reprise en main des Etats. J'en donnerai deux exemples : la Commission européenne, dont les sanctions contre Microsoft ont un impact mondial ; et le remplacement des accords commerciaux mondiaux dans le cadre de l'OMC par des accords bilatéraux, d'Etat à Etat, qui permettent à ceux-ci d'avoir plus de pouvoirs, croient-ils. Mais c'est vrai que la privatisation des normes est un des grands débats des années à venir.

dod : L'économie internationale peut-être maintenir des échanges financiers avec autant d'écarts avec l'économie réelle ?

Frédéric Lemaître : La réponse semble positive. La crise des subprimes n'est pas une crise liée à l'internationalisation des marchés. Elle est liée au fait que les banques et les intermédiaires financiers, pour gagner de l'argent, ont fait acheter des maisons à des Américains qui n'en avaient pas les moyens. Là, on ne peut pas imputer à la mondialisation les problèmes de l'économie américaine.

lappy : Pensez-vous que 2007 était un prémice à ce qu'on a pu voir en 1929 ?

Frédéric Lemaître : C'est ce que dit George Soros. Mais cela fait plusieurs années qu'il dit cela à chaque crise. Jusqu'à présent, le système financier a bien résisté. Mais c'est vrai que cette crise, qui est la crise de la complexité de la finance, pose des questions inédites. Honnêtement, nul n'est capable aujourd'hui d'en prévoir les conséquences sur l'économie réelle.

dod : Le principe de précaution, qui semble s'imposer socialement, doit-il s'appliquer à l'économie ?

Frédéric Lemaître : Je pense qu'il faut se garder d'une prudence excessive. Il faut quand même avoir foi dans l'innovation et le progrès, qui sont les deux meilleures sources de croissance. Le risque, c'est aussi une opportunité. En revanche, il y a des questions mondiales, comme l'environnement, qui évidemment exigent qu'on ait une réflexion qui dépasse la sphère économique. Et qui intègre d'autres enjeux.
Néanmoins, à Davos, ce qui frappe, c'est la présence très forte et le dynamisme des Indiens et des Chinois.

LE RÔLE DE LA BCE

sylvainldn : Que pensez-vous de la déclaration de M. Weber (BCE) dans les dernières minutes, je cite : "Weber dit qu'il y a deux options : une stabilité ou une hausse des taux. Il dit que les perspectives économiques en Europe diffèrent de celles aux Etats-Unis." N'est-ce pas se voiler la face sachant que les effets de la crise américaine seront ressentis dans quelques mois en Europe ? Que pensez-vous du rôle de la BCE, qui dit que son seul mandat est de maintenir l'inflation ? Ne devrait-on pas revoir son rôle ?

Frédéric Lemaître : La réponse est compliquée. D'un côté, évidemment, tout le monde est tenté d'avoir des taux d'intérêt plus bas pour améliorer la croissance en Europe. Mais la crise américaine montre aussi les effets pervers d'une politique de crédit trop généreuse. Le débat est ancien. Pour maintenant, la BCE estime que la maîtrise de l'inflation doit rester son principal objectif. La croissance économique en Europe n'a pas été si mauvaise en 2007 dans certains pays, et donc baisser les taux présente un risque. C'est vrai qu'en la matière, on adopte une politique contraire à celle de la Fed. C'est un choix.

oups : La BCE devrait-elle baisser ses taux comme l'a fait la Fed ?

Frédéric Lemaître : Personnellement, je pense que la BCE a plutôt raison d'attendre encore un peu pour se garder de la marge en cas de nécessité. Mais je peux me tromper.

LE SOMMET DE DAVOS ET SES EFFETS

Laurent : Est-ce qu'il peut réellement sortir quelque chose de concret d'une réunion comme Davos sur les problèmes économiques et financiers mondiaux ?

Frédéric Lemaître : Non. Davos ne prend jamais de position officielle, il n'y a pas de déclaration finale à Davos. Ce n'est pas le but. Davos est un lieu d'échanges entre chefs d'entreprise, responsables politiques, associatifs et culturels dans une moindre mesure. C'est un lieu où l'on débat des problèmes, où l'on esquisse des solutions, mais ce n'est pas un lieu où on résoud les problèmes. Ce n'est pas un gouvernement mondial.

Txema bofill : Davos ne s'occupe-t-il pas surtout de l'économie des riches ? Et les recettes pour les chômeurs, précaires du tiers-monde, de tous ceux qui ne n'ont pas d'économies ?

Frédéric Lemaître : Je ne cherche pas à défendre forcément Davos, mais premièrement, force est de constater que le sommet altermondialiste a fait long feu, et que Davos a su intégrer les questions sociétales. La forte présence de chefs d'Etat et, dans une moindre mesure, d'ONG montre que même les patrons, actuellement, s'interrogent sur les limites du libéralisme. On peut ouvrir un débat sur l'entreprise citoyenne, mais hier, Bill Gates a fait un tabac en prônant un "capitalisme créatif", c'est-à-dire incitant les entreprises à demander à leurs innovateurs de travailler pour les plus pauvres en partenariat avec les ONG et les gouvernements. Donc on ne peut pas dire que Davos ne s'intéresse pas à la pauvreté. Deux des grands thèmes de cette année sont d'ailleurs la pénurie d'eau, qui risque de caractériser le XXIe siècle, et la cherté des matières premières agricoles, qui est un vrai problème, plus que le prix du pétrole d'ailleurs, pour les pays pauvres.

Nils : La conférence de Davos reste-t-elle un lieu de débat prépondérant où s'ébauchent d'importantes décisions ?

Frédéric Lemaître : Je pense vraiment que Davos reste un lieu de débat important. La participation de décideurs de tous horizons et de tous pays est vraiment impressionnante. Ce qui est le reflet, d'ailleurs, de l'incertitude générale. C'est parce que les gens se posent des questions qu'ils viennent à Davos. Par ailleurs, en marge des rencontres officielles se tiennent des tas de sommets privés qui ne sont pas ouverts à la presse, comme le Forum de l'énergie, et qui sont visiblement un moment d'échange important pour les ministres et les chefs d'entreprise. Est-ce que de ces rencontres naissent des décisions ? A chaque participant, après, d'essayer à son niveau de les mettre en œuvre ou pas.

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